Photo-reporter : une profession à contre-jour

Reporters Sans Frontières (RSF) présente au FIGRA 2015 une exposition photo baptisée On est ensemble en hommage à Camille Lepage. Cette photo-journaliste de 26 ans, assassinée en Centrafrique en mai 2014, aimait immortaliser ce qu’elle appelait les « causes oubliées ». L’occasion de sonder le regard que portent les citoyens sur ce métier hors du commun, souvent pratiqué dans l’ombre.

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Des visages impassibles sur lesquels la mort s’est déposée, dans une mosquée à Bangui. La grâce improbable d’un jeune garçon imitant la marche des soldats sur la terre rouge, le jour de la Fête nationale en Centrafrique. Un camp de réfugiés ébloui de soleil. Originaire d’Angers, Camille Lepage promenait son objectif en République centrafricaine, à pied et en moto, depuis 7 mois quand elle est tombée dans une embuscade au cours d’une expédition. Dans la brousse, sur les pas d’une milice chrétienne.

Couvrir des guerres mais pas seulement, témoigner des grandes et des petites histoires aux quatre coins de la planète, les photo-journalistes ne font pas qu’un job de techniciens. Ils impriment une âme à leurs images, comme le faisait Camille Lepage. Mais la reconnaissance ne suit pas toujours. Pire : à l’heure des écrans omniprésents et de l’avènement des réseaux sociaux, l’âge d’or du photo-reportage et ses commandes qui tombent comme des petits pains ne semblent plus qu’un beau souvenir.

Jean-François Leroy, président de Visa pour l’image, seul et unique festival mondial consacré au photo-journalisme (à Perpignan), écrivait dans un édito en juin dernier « Les financiers sont en train d’enterrer ce métier. » Désormais, les photo-reporters ne peuvent plus vraiment compter sur les commandes et le soutien financier des journaux, ils partent par leurs propres moyens. Culture du tout-gratuit, photo-journalisme amateur, smartphone dans toutes les poches ou encore passage de la photo au second plan par rapport à l’écrit, leur compliquent la tâche.

 

Périple initiatique

En 2015, le statut social et les conditions d’exercice sur le terrain restent précaires. Les professionnels ne bénéficient pas toujours d’assurance, se retrouvent à vivre de piges, passent plus de temps à se créer une image qu’à en produire et ne  sont pas à l’abri de tirs derrière l’objectif.

Camille Lepage ne se contentait pas de quelques jours passés sur place, ses étapes au plus près des conflits se comptaient en mois. Idéal journalistique mais aussi dure réalité financière, cette configuration l’a aussi fatalement mise en danger, l’exposant davantage aux risques du métier.

Et elle n’est pas la seule. Jérôme-Clément Wilz, documentariste, a suivi pendant 4 ans les premiers pas de son meilleur ami Corentin Fohlen, photo-reporter freelance. Une immersion « sans parachute », notamment en Libye. A la clé, le documentaire Un baptême du feu. Après son périple initiatique, Corentin Fohlen décrochera un Worldpress et le prix du jeune reporter de Visa pour l’image. Pourtant, l’à peine trentenaire ne travaille plus en zone de guerre. Il privilégie les plus longs séjours comme à Haiti, où il travaille sur la lente reconstruction de la ville depuis le séisme de janvier 2010. Un thème peu relayé par les médias internationaux.

 

« Fallait pas y aller. Fallait pas »

Pourquoi partent-ils, pourtant, au péril de leur vie ? Dans son roman autobiographique Je voulais voir la guerre, Isabelle Elsen, reporter-photographe aujourd’hui décédée, confiait : « Un jour j’ai tout quitté pour devenir photographe, photographe de guerre. J’ai laissé ma famille, mes amis, mes convictions, mon appartement douillet pour chausser des rangers, porter quinze kilos de matériel sur l’épaule, courir sous les bombardements et dormir sous les abris. (…) Fallait pas y aller, fallait pas. J’y suis retournée, toujours et tout le temps. Et j’ai aimé ça. » Une recherche d’adrénaline pour une profession incomprise, à la fois sur-exposée aux risques et sous-exposée aux regards du public. Mais qu’importe, un métier coûte que coûte.

 

Axelle Choffat & Emilie Gouveia Vermelho 

 

 

Et vous,

quel regard portez-vous sur la profession ?

 

BENJAMIN

 

BENJAMIN, 17 ans

 

« Ils témoignent des atrocités qui se passent dans d’autres pays. Des différents conflits entre différentes cultures. Des misères qui se vivent sur place (…). Pour moi, les photojournalistes représentent le courage. Ils font leur travail au péril de leur vie. C’est la première fois que je vois des personnes démembrées en photo. Ça n’est pas le genre de choses qu’on peut voir dans les reportages à la télé : je trouve que la photo donne une image plus réaliste. »

 

LOIC 2

 

LOIC, 69 ans

 

« La photo affiche encore plus que l’écrit une certaine objectivité. Heureusement qu’on les a les photojournalistes. Ils « donnent un oeil » sur ce qui se passe un peu partout dans la planète. Pour moi, leur professionnalisme et honnêteté font la différence. »    

 

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CAMILLE LEPAGE, décédée le 12 mai 2014 en Centrafrique alors qu’elle faisait son métier.